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Universités, recherche : la tentation du Gosplan

« La notoriété de la science française est en train de reculer », affirme le président de l'université PSL,

Alain Fuchs (EPFL 75 CH)

« C'est le plus grand bouleversement du système de recherche depuis une vingtaine d'années », avait commenté la revue « Nature » après le discours d'Emmanuel Macron mi-décembre. Encore faut-il « le traduire dans les faits », prévient Alain Fuchs dans un entretien aux « Echos ». Le président de l'université PSL, à la tête d'un ensemble de près de 20.000 étudiants et de 11 établissements (Collège de France, Dauphine, Ecole des Mines de Paris, ENS, etc.), évoque le « risque » que ce « discours fondateur » débouche sur un « statu quo » ou une « usine à gaz ». Pour l'éviter, « on se mobilise », indique-t-il en citant l'association Udice qui regroupe les plus grandes universités de recherche, dont PSL est membre.

Clarifier les rôles

Le chef de l'Etat a donné dix-huit mois aux acteurs pour clarifier les rôles entre universités et organismes de recherche. Les premières doivent devenir « cheffes de file » en matière de recherche ; les seconds créer des « agences de programme ». « On ne peut pas rester éternellement dans des confusions qui conduisent à des querelles obscures et nous paralysent », approuve l'ex-président du CNRS, Alain Fuchs.

« L'université n'est plus un hangar chauffé où l'on va mettre les labos pilotés par le CNRS » en séparant la formation (universités) et la recherche (organismes), souligne-t-il. Les universités doivent « piloter et gérer » les unités mixtes de recherche déjà implantées en leur sein, en s'inspirant de ce qui se pratique aux Etats-Unis. La recherche doit se faire « au plus près » des étudiants.

La réorganisation de la recherche va de pair avec le renforcement de l'autonomie des universités -Emmanuel Macron a appelé à « un acte II », après l'acte I de la loi LRU, en 2007. Il faudra qu'elle soit suivie d'effets, insiste le président de PSL car, « globalement, la notoriété de la science française est plutôt en train de reculer ». « On publie moins, on est rattrapés par certains pays. Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas d'atouts ni de très bons chercheurs, mais l'organisation y est pour beaucoup », explique-t-il.

« L'autonomie, selon lui, c'est d'abord la simplification. » Il faut « un paysage clair » pour attirer étudiants et chercheurs. La loi immigration a compliqué la donne. Alain Fuchs est signataire de la lettre dans laquelle la plupart des présidents d'université ont dénoncé des mesures « inacceptables ». « On a besoin de continuer à attirer des talents, des étudiants du monde entier », a tenté de rectifier Emmanuel Macron, après le tollé provoqué par le texte.

Comme d'autres, PSL cherche à attirer « des hauts potentiels venus de l'international ». Les chaires de professeur junior créées par la loi sur la recherche de 2020 permettent de contourner la procédure classique de recrutement. Mais leur utilisation est complexe. Alain Fuchs voudrait la « débureaucratiser ».

Il décrit ce qui ressemble à un parcours du combattant : « D'abord demander cette chaire au ministère, remplir des pages et des pages de dossier, attendre le résultat, demander ensuite au chercheur de postuler officiellement sur la plateforme Galaxie qui est une horreur informatique. On parle d'internationalisation et la plateforme est entièrement en français, dans un vocabulaire administratif incompréhensible y compris des chercheurs français. On a l'impression d'être sur un Minitel d'il y a trente ans. C'est absolument horrible et on a honte de ça ! » Il évoque le cas de chercheurs brillants dont le dossier a été considéré comme non éligible « parce qu'ils n'avaient pas rempli les cases correctement ».

« Pataugeoire »

« C'est un outil très intéressant qui se transforme en pataugeoire dans laquelle on est obligés de se battre tous les jours, s'agace-t-il, et des exemples comme ça, il y en a plein. » « L'autonomie des universités signifie d'abord de 'faire confiance aux universités' avec un contrôle a posteriori et non a priori », martèle-t-il.

Emmanuel Macron a encouragé les acteurs à « changer [eux-mêmes] les statuts ». « On ne va pas remettre en cause le statut de fonctionnaire, rassure le président de PSL. Mais permettre à des chercheurs de donner quelques heures de cours et de participer à la vie de la formation  » -l'engagement des chercheurs dans l'enseignement fait régulièrement figure de chiffon rouge.

« Les universités doivent pouvoir développer, si elles le souhaitent, ce genre d'arrangements », plaide Alain Fuchs. Et surtout ne pas se lancer dans une opération qui serait « la même partout, sur tous les territoires ». « Il faut arrêter avec ça ! » Emmanuel Macron parle d'ailleurs de « différenciation assumée » entre les acteurs. « La recherche ne se distribue pas sur le territoire comme les bureaux de poste, avec un bureau dans chaque village », appuie Alain Fuchs.

Donner plus d'autonomie aux universités suppose aussi de s'attaquer à leurs relations avec le ministère de l'Enseignement supérieur. Ce dernier doit créer « une vraie fonction de pilotage et de stratégie », ce qu'il sait « très mal faire », avait critiqué Emmanuel Macron. « On nous tient continuellement la main, décrypte le président de PSL. C'est insupportable ! » La bataille n'est « pas gagnée », estime-t-il. « La tentation du 'Gosplan' existe toujours », redoute-t-il en ironisant sur « certains technocrates qui voudraient planifier les découvertes et les avancées technologiques ».

« Une réflexion sur les frais de scolarité »

L'acte II de l'autonomie contient « une réflexion sur les frais de scolarité ». Là encore, le sujet dépendra « des initiatives des universités ». Alain Fuchs évoque le cas de Dauphine, où les frais en master diffèrent selon les espérances de gain salarial après le diplôme, qui ne seront pas les mêmes en finance ou en sociologie.

« Idéalement, la notion de diplôme national, qui renvoie à l'idée que, dans un domaine donné, tout le monde fait la même chose, doit disparaître, plaide le président de PSL. L'idée selon laquelle le cours de mathématiques avance exactement de la même façon dans toutes les facultés de France, avec un examen national, est une histoire du passé. » L'offre de formation d'une université autonome doit, ajoute-t-il, « être pilotée par l'université et accréditée par l'Etat ». Et « comme tout le monde ne fait pas la même chose, arrêtons de dire 'les' universités, conclut-il, parce que ça n'a plus de sens ».

 

Source : Les Echos, Marie-Christine Corbier,